Chaque année, le Ghana et la Côte d’Ivoire produisent à eux seuls 60% de la production mondiale de cacao. Ils y parviennent cependant en ayant recours au travail infantile. Dans ses efforts pour changer le commerce mondial, Fairtrade International doit faire face à la dure réalité de cette filière.
Le Centre National de Recherche d’Opinion (National Opinion Research Center – NORC), en tant que partie prenante du Harkin-Engel Protocol et commissionné par le Département américain du travail, a publié les résultats de ses recherches le 19 octobre 2020. Ce rapport estime à plus de 1,48 million le nombre d’enfants travaillant au Ghana et en Côte d’Ivoire. Chez Fairtrade International, on estime que ce chiffre est bien plus haut, car nous considérons que le travail infantile comprend la limite d’âge, la dangerosité du travail et le travail des enfants sans restriction.
Quelle que soit la méthode de calcul, ces chiffres sont choquants, en particulier parce que l’engagement Harkin-Engel pour réduire le travail infantile a été pris il y a de ça 19 ans. Ces chiffres ne sont malheureusement pas une surprise pour nous. Depuis 2009, nous avons travaillé avec diligence pour résoudre ce problème, pas seulement dans la filière cacao. Dans les faits, le Département américain du travail a fait appel à nous pour l’étude de NORC afin de leur apporter notre expertise concernant le problème du travail infantile dans cette région d’Afrique. Nous avons donc apporté notre contribution à cette étude en plus de participer à des entretiens avec Fairtrade Africa. Ces dernières décennies avec les producteur.rice.s de cacao certifié.e.s Fairtrade/Max Havelaar, nous avons initié plusieurs programmes, déterminé les causes profondes de ce problème, appris de nos échecs et ajusté notre approche dans notre recherche continue de solutions inclusives et durables.
Ce que nous savons, sans aucun doute, c’est qu’il n’y a pas une raison unique au travail infantile dans la filière cacao : il y en a plusieurs, complexes et interdépendantes. La pauvreté, les bas revenus, les pénuries de main d’œuvre, les conditions de travail pénibles, la faible implication des pouvoirs publics, le manque d’opportunités impactantes en matière d’éducation, des écoles peu sûres, l’exploitation et la discrimination, les conflits et troubles politiques et maintenant le Covid-19 : tout ceci contribue au recours au travail infantile dans les productions de cacao d’Afrique de l’Ouest.
La pauvreté et la discrimination son malheureusement de gros facteurs de travail infantile. Quand les producteur.rice.s sont pris.e.s au piège de la pauvreté, ils ne peuvent pas se permettre d’investir dans des méthodes de travail plus efficaces pour améliorer leurs revenus. En conséquence, on assiste aux pires formes de travail infantile. Quand les droits de l’enfant ne sont pas respectés, le besoin de les exploiter peut augmenter.
L’étude NORC conclue qu’une combinaison d’initiatives et d’interventions sont nécessaires pour sortir les enfants de ces formes dangereuses de travail et les insérer dans un système scolaire ou des programmes pour la jeunesse. En cela, la prime de développement Fairtrade/Max Havelaar est importante car elle permet aux organisations de producteur.rice.s de choisir d’investir dans les besoins de leurs communautés, y compris dans la construction d’écoles et ainsi faire en sorte que ce soit plus simple et plus sécurisé pour les enfants de recevoir une éducation de qualité.
En 2019, nous avons augmenté à la fois le prix minimum garanti ainsi que la prime de développement Fairtrade/Max Havelaar de 20 % pour permettre aux producteur.rice.s de cacao de s’approcher d’un revenu décent. La mise en place du système communautaire de suivi et de remédiation inclusif des jeunes sur le travail des enfants et sur le travail forcé a été mené dans plusieurs pays et inclut plusieurs produits à travers le monde.
Dans les projets pilotes en Afrique de l’Ouest, les groupes de producteur.rice.s de cacao ont identifié quelques cas relevant des pires formes de travail, que Fairtrade International a rapporté aux départements de protection nationale des gouvernements du Ghana et de la Côte d’Ivoire afin d’avoir un suivi en règle avec notre politique de protection.
Il est clair que les solutions volontaires ne sont pas suffisantes. Cela doit devenir un effort collectif de la part de tous les acteurs.
Un obstacle majeur à la mise en place et la montée en puissance des interventions demandées par le NORC est le coût. Les producteur.rice.s et leurs communautés vivent déjà dans la pauvreté. Il n’est pas réaliste ou juste d’attendre des producteur.rice.s de supporter les coûts de la mise en place d’un programme de suivi et de remédiation quand ils ne peuvent même pas gagner assez pour subvenir à leurs besoins.
Donc, qui va payer pour mettre fin au travail des enfants ? Les coûts partagés sont la seule manière d’en finir avec cela, notamment dans les productions de cacao.
Les certifications volontaires ont un rôle essentiel à jouer pour relever le niveau des attentes, pour concevoir et mettre en place un cadre concernant la responsabilité de nos partenaires commerciaux et des producteurs, renforcer les exigences légales et fournir un soutien terrain indispensable.
Cependant, c’est toute la chaine de valeur, de ceux.celles qui établissent les règles sur le fonctionnement des entreprises à ceux.celles qui prennent du plaisir à savourer une barre chocolatée, qui doit agir :
- Les pays du Nord doivent soutenir et financer les efforts faits par les gouvernements d’Afrique de l’Ouest pour coordonner, mettre en place et améliorer les projets de suivi et remédiation sur le travail des enfants. Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest doivent continuer de renouveler et réviser les salaires minimum pour les travailleur.se.s de la filière cacao.
- Les gouvernements des pays consommateurs, en accord avec les gouvernements des pays producteurs, les organisations de producteur.rice.s et leurs membres, toute cette industrie à large échelle ainsi que la société civile, doivent concevoir une "diligence raisonnable" en matière de droits humains et environnementaux pour tous les commerces vendant des produits contenant du cacao dans les pays consommateurs afin de mettre sur un même pied d’égalité tous les acteurs, facilitant ainsi la responsabilité partagée.
- Les producteur.rice.s doivent mettre en place des systèmes de suivi et de remédiation du travail infantile en impliquant leurs communautés et en renforçant la sécurité pour les enfants retirés du travail.
- Les entreprises doivent travailler de manière constructive en payant les travailleur.se.s et les producteur.rice.s à un prix juste et s’engager à identifier et à mettre fin aux manquements aux droits humains dans leurs chaines de valeurs.
- Les organisations de la société civile doivent continuer à sensibiliser et mettre en place des projets alternatifs pour et avec la jeunesse et atténuer les effets négatifs sur les jeunes que l’on a retiré du travail.
- Les consommateur.rice.s doivent demander des comptes sur la responsabilité des marques de chocolat, des revendeurs et une réglementation de la "diligence raisonnable" en matière des droits humains et de l’environnement à leurs gouvernements. Ils doivent acheter des produits alignés avec leurs valeurs : des produits qui fournissent aux producteur.rice.s un revenu stable leur permettant de faire des plans pour leur futur et de décider de la meilleure manière d’investir dans leurs communautés et leurs productions.
N’attendons pas 20 ans de plus pour que de l’exception, le commerce équitable devienne la norme !