Les forêts de notre planète sont plus que de simples poumons verts respirant la vie. Elles couvrent près d'un tiers des terres émergées du globe, abritent 80% de toutes les espèces terrestres et fournissent de la nourriture, un abri et un revenu à environ 1,6 milliard de personnes. Pourtant, selon la Commission européenne, en 30 ans, entre 1990 et 2020, la planète a perdu 420 millions d'hectares de forêt, soit une superficie supérieure à celle de l'Union européenne elle-même.
C'est une véritable tragédie environnementale ! Et c'est précisément cette déforestation à grande échelle et cette dégradation des forêts sans retenue qui représentent aujourd’hui une menace majeure pour l'avenir de notre planète. Il est essentiel de garantir la pérennité de nos forêts pour faire face à la double crise, climatique et de la perte de biodiversité, et atteindre les Objectifs de développement durable et ceux de l'accord de Paris.
Une proposition pour lutter contre la déforestation
La proposition législative inédite de la Commission européenne pour lutter contre la déforestation est un pas dans la bonne direction, bienvenu et nécessaire, vers la construction d'un avenir plus durable pour tous.
Publiée fin 2021, la proposition législative confirme le rôle de leader mondial de l'Union européenne sur l'agenda écologique. Importatrice et consommatrice majeure de produits dits « à risque pour la forêt », l'Union européenne peut et doit jouer un rôle déterminant pour favoriser une production durable et équitable et freiner la déforestation et la dégradation des forêts.
Cependant il est essentiel de rappeler que les forêts assurent des moyens de subsistance à l’équivalent de près de quatre fois la population de l'Union européenne. Il est tout aussi important de placer la préservation de conditions de vie décentes au centre de cette réglementation, que de protéger les forêts elles-mêmes.
La proposition de la Commission européenne vise le café, le cacao, le bois, l’huile de palme, le soja et le bœuf dont la production serait associée à la déforestation ou à la dégradation des forêts et prévoit la fermeture du marché de l'Union européenne aux contrevenants. Cependant, le règlement ne fait pratiquement aucune référence aux producteurs et productrices de cacao et de café, et ne prévoit pas de dispositions à leur intention, alors que leur situation est très différente de celle de la production à grande échelle, telle que pour le soja. En outre, le règlement n’a pas évalué le nombre de ménages d'exploitants qui risquent de perdre leur principale source de revenu pour avoir déforesté après décembre 2020, même si cette déforestation était alors conforme à la législation en vigueur dans leur pays.
C'est tout à fait injuste et cela nous préoccupe grandement. C'est pourquoi le mouvement Fairtrade/Max Havelaar demande à l'Union européenne de veiller à ce que toutes les mesures adoptées dans la législation contre la déforestation incluent l'équité et la justice sociale comme éléments essentiels.
La grande majorité des exploitants et exploitantes de cacao et de café travaillent sur des fermes de moins de cinq hectares et vivent dans des contextes extrêmement vulnérables, accablés par l'insécurité économique et les impacts croissants du changement climatique.
Perdre l'accès au marché européen serait extrêmement grave pour les producteurs concernés. Ils auraient toujours besoin de gagner leur vie et pourraient être poussés à la déforestation et au travail non réglementé. Ces conséquences involontaires finiraient par saper la durabilité, la préservation des forêts et donc l'intention même du règlement. En d'autres termes, la déforestation ne sera pas combattue en interdisant les importations de cacao et de café provenant de familles de petits exploitants vivant dans la pauvreté.
Les exploitants, acteurs essentiels dans la luttre contre la déforestation
C'est pourquoi le mouvement Fairtrade/Max Havelaar exhorte l'Union européenne à inclure les exploitants et exploitantes de cacao et de café et que sa proposition :
- Inclue une étude préalable pour connaître le nombre d'exploitants de cacao et de café qui risquent d'être impactés, ainsi que la manière dont ils seront impactés, avant que l'adoption du règlement n’entraîne pas des conséquences néfastes sur leurs moyens de subsistance. Les exploitants dont les actions de déforestation sont antérieures à la date butoir proposée par le règlement (31 décembre 2020) mais effectuées dans le cadre légal de leur pays, sont particulièrement concernés ;
- Demande un engagement responsable avec les exploitants de cacao et de café et leurs coopératives, notamment en encourageant les entreprises à établir des contrats d'approvisionnement à long terme, et à investir dans des améliorations plutôt que se désengager soudainement (« cut and run ») des régions à haut risque ;
- Exige des entreprises qui mettent des produits sur le marché européen qu'elles respectent les droits fonciers et les régimes d’occupation des terres des communautés locales et des peuples indigènes et traditionnels, ainsi que le droit au consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) ;
- Tire profit des partenariats, des programmes et des outils financiers de l'Union européenne pour soutenir les petits exploitants à se conformer aux nouvelles exigences de l'Union européenne en matière de durabilité ;
- Combine les exigences de traçabilité avec un soutien et des garanties adéquats sur la propriété des données pour les petits exploitants de cacao et de café et leurs organisations de producteurs ;
- S'attaque aux causes profondes de la déforestation, telle la pauvreté, comme condition préalable à la réduction de « l'empreinte déforestation » de l'Union européenne.
Ce n'est qu'à travers ces efforts clairs et inclusifs que la législation proposée par l'Union européenne pourra atteindre son objectif déclaré de réduire efficacement la déforestation et la dégradation des forêts dans les chaînes d'approvisionnement et d'assurer une transition juste et équitable vers des pratiques durables et zéro-déforestation pour toutes et tous, en ne laissant personne de côté.
La protection des forêts est essentielle pour préserver l'avenir de notre planète. Dans le même temps, nous devons trouver l'équilibre nécessaire entre la sauvegarde du patrimoine environnemental et la construction d'un avenir durable pour celles et ceux dont les moyens de subsistance sont les plus menacés. En prenant en compte les besoins des producteurs de cacao et de café, la proposition législative de l'Union européenne peut y parvenir.
Car il ne peut y avoir de justice climatique sans justice sociale.
Jon Walker est conseiller principal pour le cacao chez Fairtrade International.
Téléchargez le document de position : Une transition juste pour que les petit·e·s exploitant·e·s de cacao et de café puissent accéder à un marché européen « zérodéforestation » et « zéro-dégradation des forêts »