De la remise en cause de l'inégalité entre les sexes à la garantie d'une véritable inclusion pour les femmes

Il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de reconnaître que les économies et les communautés du monde entier dépendent des femmes, et que celles-ci doivent être en mesure de réaliser pleinement leurs droits et leur potentiel.

Les femmes de l’hémisphère Sud jouent un rôle essentiel dans l'agriculture mais sont désavantagées par rapport à leurs homologues masculins. L’impact économique du COVID-19 accentue le risque de voir ce fossé se creuser encore plus. Prenons l’exemple des travailleuses des fermes florales kenyanes : elles ont subi des licenciements massifs et des réductions de salaire tout en voyant le coût du logement et des produits de première nécessité augmenter et à cela s’ajouter des coûts liés à l’obligation de faire l’école à la maison.

Des réponses immédiates sont nécessaires pour permettre aux familles de traverser cette période difficile. À plus long terme, les gouvernements, les entreprises et d'autres acteurs doivent prendre des mesures, non seulement pour lutter contre les préjugés sexistes et adopter des politiques d'égalité des chances pour les femmes, mais aussi pour s'assurer que les femmes peuvent réellement revendiquer leur place à la table des négociations et aux postes de direction.

Voici cinq réflexions tirées de l'expérience des agricultrices et des travailleuses du commerce équitable, qui sont pertinentes pour faire progresser l'inclusion des femmes dans le commerce mondial.

Former les femmes pour qu'elles deviennent des leaders - et aussi investir en elles

Avec le soutien de l’Agence Française de Développement et le Fonds Français pour l'Environnement Mondial (FFEM) via le programme EQUITE 2, Max Havelaar France et Fairtrade Africa ont mis en place les écoles de leadership des femmes1 dans des pays tels que le Salvador, la Côte d'Ivoire, le Kazakhstan et l'Inde afin d'accroître la confiance en soi des femmes, ainsi que leurs connaissances en matière d'égalité des sexes et leurs compétences techniques agricoles. D'après notre étude, les programmes les plus réussis ne se limitent pas à la formation. Ils prévoient également des investissements pour surmonter les obstacles que rencontrent les femmes pour développer leurs entreprises ou accéder aux marchés pour leurs cultures.

Par exemple, certaines coopératives de cacao du mouvement Fairtrade/Max Havelaar en Côte d'Ivoire ont utilisé leur prime de développement pour investir dans des activités alternatives génératrices de revenus, comme la culture d'autres plantes destinées à être vendues sur les marchés locaux, l'élevage de poulets ou d'autres activités non agricoles.

Réduire les obstacles à la participation des femmes, en plus de garantir la non-discrimination

Le commerce équitable définit des exigences visant à garantir les principaux droits des agriculteurs et des travailleurs. En ce qui concerne les femmes, il s'agit notamment de l'absence de discrimination, de la tolérance zéro à l'égard du harcèlement et de la violence fondée sur le sexe, ainsi qu’une obligation pour les coopératives d'agriculteurs d'adopter une politique affirmant leur engagement en faveur de l'égalité de genre et de faire les efforts nécessaires visant entre autres à renforcer la participation et le rôle de direction des femmes.

Même si les coopératives ont adopté des réglementations en matière d'égalité des sexes et de non-discrimination, les femmes rencontrent toujours des obstacles pour devenir membres.

Selon une étude que nous avons publiée récemment et qui évalue les progrès réalisés en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, les obstacles les plus courants sont les suivants : l'absence de propriété foncière, le manque d'accès au capital et les normes de genre concernant les travaux ménagers et la garde des enfants, qui prennent beaucoup de temps.

Il faut s'attaquer à ces obstacles. Par exemple, certaines coopératives du commerce équitable essaient des modèles d'adhésion qui incluent l'ensemble du ménage plutôt que le seul chef de famille, ou bien elles renoncent aux exigences de propriété foncière pour les femmes. Des dispositifs permettant d'économiser de la main-d'œuvre, comme les fours à biogaz achetés dans le cadre du programme « Growing Women in Coffee »1 du mouvement Fairtrade/Max Havelaar au Kenya, réduisent le temps que les femmes devaient passer à ramasser du bois de chauffage et à cuisiner.

Les organisations de membres ne sont pas les seules à pouvoir faire mieux. Dans les plantations de thé en Inde et au Sri Lanka, une autre étude récente que nous avons commandée a révélé que les femmes sont confrontées à des défis à la fois culturels et logistiques pour participer ou occuper des rôles de direction dans leurs syndicats. Les lieux de travail peuvent mettre en place des structures d'accueil pour les enfants et offrir aux femmes des formations qualifiantes, tandis que les syndicats peuvent chercher des moyens de faciliter la participation effective des femmes.

Être représenté est important

Les organisations de producteurs du commerce équitable ont réussi à mettre en place des comités de femmes ou d'autres entités qui permettent aux femmes de soulever des questions spécifiques et de les faire prendre en compte par l'organisation dans son ensemble. Cependant, il est également important que les femmes soient représentées aux postes de pouvoir traditionnellement occupés par les hommes.

Chacune des six coopératives présentées dans notre étude de genre inclut des femmes dans des rôles de direction élus, y compris en tant que membres du conseil d'administration. C'est important pour que les voix des femmes ne soient pas considérées comme cloisonnées dans certaines voies de participation seulement, et que l'on puisse faire davantage pour accroître la représentation des femmes.

Des progrès à court terme peuvent être réalisés, tout en reconnaissant la nécessité de changements systémiques à long terme

Bien que la plupart des femmes ne soient pas propriétaires de leurs terres dans les régions productrices de café du Kenya, le programme "Growing Women in Coffee2" du mouvement Fairtrade/Max Havelaar a permis de contourner ce problème. Pour participer au programme, les hommes ont transféré au moins 50 caféiers à leurs épouses pour qu'elles les gèrent. En outre, les femmes ont reçu des formations sur les bonnes pratiques agricoles et ont été soutenues pour développer leur propre capacité de torréfaction et créer leur propre marque de café de spécialité. C’est la première marque de café cultivé par des femmes à être vendue au Kenya, appelée Zawadi ou "cadeau" en swahili. Les résultats ont été si impressionnants que certains hommes ont cédé jusqu'à 300 arbustes à leurs épouses. Ces stratégies peuvent s'avérer efficaces, tandis que l'on s'efforce d'apporter des changements à plus long terme aux normes juridiques et culturelles.

Faire des hommes les champions de l'équité entre les sexes

Les trois réseaux régionaux de producteurs du mouvement Fairtrade/Max Havelaar (NAPP pour l’Asie Pacifique, CLAC pour l’Amérique Latine et Fairtrade Africa pour l’Afrique) ont intensifié les formations sur l'égalité des sexes afin d'éduquer les hommes et les femmes sur les principes de l'égalité des sexes, ainsi que sur la manière d'adopter des politiques qui la mettent en pratique au sein de leurs organisations. Ces formations tentent également de modifier les comportements à la maison, afin que les maris et les femmes discutent ensemble de l'agriculture, des dépenses et des décisions à prendre.

De tels changements prennent du temps et nécessitent l'adhésion des communautés dans leur ensemble, mais Amah Kouao, cultivatrice de cacao en Côte d'Ivoire et diplômée de la l’école de leadership des femmes de ce pays, est optimiste. "Après avoir terminé la formation, j'ai demandé à mes fils de se réunir en famille. J'ai dit à mes fils comment ils devaient désormais se comporter. (...) J'étais une femme timide qui ne pouvait pas s'exprimer, mais aujourd'hui je suis très puissante. Maintenant, quand je ne peux pas assister à une réunion, ils l'annulent. Je forme d'autres femmes chaque semaine par le biais de groupes communautaires pour partager les connaissances qui m'ont été transmises."

Étant donné le rôle crucial que les femmes jouent dans leur famille, l'économie de leur foyer et leur communauté, il est essentiel que les progrès vers l'égalité des femmes ne fassent pas marche arrière. Nous devons écouter les femmes et nous engager dans des efforts visant à accroître l'autonomisation et les opportunités économiques des femmes et des filles et à soutenir leur pleine inclusion, si nous voulons parvenir à un avenir plus durable.


Article écrit par le Dr. Arisbe Mendoza Escalante, Directrice du Global Impact chez Fairtrade International – retrouve la version originale ici :
https://www.fairtrade.net/news/how-do-we-go-from-challenging-gender-inequality-to-making-sure-women-are-truly-included

1L'école de leadership des femmes fait partie du programme EQUITE 2 co-financé par l'Agence Française de Développement et le Fonds Français pour l'Environnement Mondial. Le présent document bénéficie du soutien de l’Agence Française de Développement. Néanmoins, les idées et les opinions présentées ne représentent pas nécessairement celles de l’AFD .

2 Le programme « Growing Women in Coffee » est détaillé à la page 41 du rapport Women's access, equity and empowerment: progress and uptake of the fairtrade gender strategy, Fairtrade International, 10 décembre 2020
https://files.fairtrade.net/publications/2020-womens-access-equity-and-empowerment-study.pdf