Tout d’abord, n’oublions pas que pour beaucoup, le Black Friday est l’occasion de se procurer les produits dont ils ont besoin. Cette année, l’inflation pourrait accroitre ce phénomène. Cependant, l’ampleur des promos « excitantes » et des offres « limitées » et « exclusives » est conçue pour submerger les client·e·s , pour stimuler un sentiment de fausse urgence et, au final, pour nous inciter à acheter des articles dont nous n’avons pas besoin, juste parce qu’ils sont bon marché.
Le Black Friday, allié de la fast fashion
Les marques de fast fashion peuvent maintenir ce modèle grâce à leurs pratiques commerciales, d’achat, et de fixation des prix, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles elles achètent aux fabricants les vêtements qu’elles nous vendent. Elles adoptent généralement des pratiques qui leur permettent de renouveler les collections plusieurs fois par mois tout au long de l’année, de produire de grandes quantités de vêtements à un faible prix unitaire, et d’appliquer d’énormes remises pendant les soldes, notamment lors du Black Friday.
Mais ces pratiques ont un impact direct sur les droits humains des travailleur·euse·s qui fabriquent nos vêtements et sur notre planète. Les conditions contractuelles, de commande et de fixation du prix et de paiement entre les fournisseurs (les usines où sont fabriqués nos vêtements) et leurs acheteurs (les marques qui nous vendent ces vêtements) impactent directement la capacité des fournisseurs à respecter les droits humains de leurs travailleur·euse·s.
Des pratiques d’achat déloyales au détriment des travailleurs
Comment ?
Des prix d’achat bas : en raison de la forte concurrence entre plusieurs petits fournisseurs dans le secteur textile, les marques sont en mesure d’acheter des commandes à prix très bas, souvent inférieurs au coût de production. Les deux tiers des fournisseurs ont déjà accepté un prix inférieur au coût total de production par crainte de perdre des marchés (étude de l’OIT, 20171). Pire, lorsque le salaire minimum a presque doublé au Bangladesh en 2014, passant de 3000 à 5300 Taka, presque aucun acheteur n’a accepté une augmentation de prix pour refléter l’augmentation des coûts de main-d’œuvre. Il est bien documenté (UE, OIT2) que la plupart des entreprises ne vérifient pas si leurs prix d’achat permettent à leurs fournisseurs d’appliquer le salaire vital.
Délais courts : pour faire face au renouvellement permanent des collections, à la mise à disposition de quantités énormes de styles, aux changements soudains des volumes de commande, etc., les délais de fabrication des produits sont souvent déraisonnablement courts. Comme pour les prix d’achat bas, en raison de la forte concurrence entre les fournisseurs, ceux-ci peuvent perdre des commandes s’ils refusent de réduire la date de la commande et celle de l’expédition des produits. Pour respecter ces délais, les fournisseurs ont souvent recours à des heures supplémentaires excessives ou forcées, ou se tournent vers la sous-traitance non autorisée, souvent vers des travailleur·euse·s informel·le·s basé·e·s à domicile qui sont exposé·e·s à des risques particulièrement élevés et à de mauvaises conditions de travail.
Parmi les autres pratiques d’achat déloyales et irresponsables, on peut citer la modification ou l’annulation de commandes à la dernière minute3, les paiements tardifs ou retardés, la modification unilatérale des termes du contrat ou le transfert des risques sur les fournisseurs. Parmi les autres impacts sur les droits humains, on peut citer les coupes dans les salaires, dans les cotisations de sécurité sociale, dans les équipements de santé et de sécurité, les retards de paiement des salaires (voire l’absence de paiement en cas d’annulation soudaine de commande, comme ce fut le cas pendant le COVID-19), l’imposition de quotas de production déraisonnables par travailleur·euse·s, l’augmentation des risques de violence et de harcèlement.
Tout cela est rendu possible parce que les acheteurs ont beaucoup plus de pouvoir que leurs fournisseurs dans les chaînes d’approvisionnement du textile, ce qui leur permet de contrôler les activités d’entreprises qu’ils ne possèdent pas et qui, à leur tour, transmettent cette pression aux travailleur·euse·s. Ce déséquilibre des pouvoirs crée également une culture de la peur dans laquelle les fournisseurs ont tendance à ne pas poursuivre les marques pour les pratiques commerciales qui sont illégales.
Comment la campagne Good Clothes, Fair Pay peut-elle contribuer à changer cette situation ?
Good Clothes, Fair Pay ne demande pas seulement une législation sur le salaire vital dans le secteur textile, mais aussi l'interdiction des pratiques commerciales déloyales qui causent, ou contribuent à causer, des préjudices aux travailleur·euse·s. Il s'agirait notamment d’en finir avec les cas suivants :
L'acheteur paie le fournisseur plus de 60 jours après la fin d'une période de livraison convenue ;
L'acheteur annule des commandes sans préavis ;
L'acheteur modifie ou omet de fournir des informations complètes concernant les modalités contractuelles ;
L’acheteur exige du fournisseur qu'il paie les dommages survenus après le transfert de propriété à l'acheteur ;
L'acheteur refuse de convenir d'un prix de production qui permette aux fournisseurs de payer des salaires vitaux à leurs travailleur·euse·s.
Nous sommes convaincus qu'en réglementant les pratiques commerciales des marques pour qu'elles deviennent équitables, nous lèverons l'un des principaux obstacles au versement de salaires vitaux aux personnes qui fabriquent nos vêtements.