Pour un environnement politique favorable au revenu vital dans le secteur du cacao

« La plupart des discussions sur le revenu vital dans le secteur du cacao ont lieu dans les pays consommateurs, avec ce sommet nous replaçons la discussion en Afrique », a déclaré M. Benjamin Franklin Kouamé, président de Fairtrade Africa, en ouverture du premier Sommet sur le revenu vital organisé par les cacaoculteurs et cacaocultrices du mouvement Fairtrade / Max Havelaar le 11 mai 2023 à Abidjan.

Une déclaration forte, qui précise d’entrée l’objectif de ce sommet : replacer la discussion chez les producteurs et entendre leur point de vue sur les défis liés au revenu vital. Cela semble évident, mais la voix des producteurs et productrices continue d'être négligée dans les discussions sur les chaînes de valeur durables.

En raison des déséquilibres de pouvoir, ils ne peuvent pas défendre leur vision, qui est régulièrement défini par des individus dont la réalité est très différente de la leur, ce qui a un impact direct sur la définition des priorités, de l'agenda politique et des termes des discussions commerciales. 

La vision des producteurs et productrices sur le revenu vital 

Le droit à un revenu vital est une condition préalable au respect des autres droits humains et de l'environnement. Même si le revenu vital constitue simplement un prérequis pour avoir un niveau de vie décent, les cacaoculteurs et cacaocultrices sont actuellement loin de toucher ce minimum. Cela signifie qu'ils ne gagnent pas suffisamment pour subvenir aux besoins de leur famille, et que cela compromet également leur capacité à produire de manière durable.  

Ce sont ces sujets qui ont été discutés directement par les producteurs et productrices lors du sommet, au cours duquel ils ont mis en lumière leurs défis et leurs succès. Comme cela a été dit pendant le Sommet, « En tant que producteurs et productrices, nous n'avons pas besoin de charité, nous avons besoin de reprendre le pouvoir ».  Un empouvoirement qui commence par un revenu vital. 

Un environnement favorable au revenu vital 

Pour que le revenu vital devienne une réalité, il faut un environnement favorable. Cela nécessite que toutes les parties prenantes jouent leur rôle et passent à l’action : les coopératives, les entreprises, les gouvernements des pays producteurs et consommateurs. C'est pourquoi ils ont tous été invités au sommet : des représentants des entreprises Starbucks, Mars, Tony's Chocolonely, Ben & Jerry's, Superunie et Plus Retail et ECOM ont échangé avec des représentants des gouvernements de l'initiative Cacao Côte d'Ivoire-Ghana, du Conseil Café Cacao, de la délégation de l'Union Européenne, des membres du Parlement belge et de l'Ambassade des Pays-Bas en Côte d'Ivoire. Des représentants de la GIZ (Agence de coopération allemande pour le développement), d'Enabel (agence belge de développement), de différentes ONGs et d'organismes de certification se sont également joints à la conversation. Tous ont mis leurs idées en commun et, sous la direction des producteurs, ont réfléchi à la manière de travailler ensemble pour faire du revenu vital une réalité.  

Lors des panels et des sessions, chacun a pu explorer les rôles et les responsabilités de toutes les parties prenantes pour permettre aux producteurs et productrices de cacao de disposer de revenus décents. Les sessions en petits groupes ont facilité le dialogue sur la politique et la réglementation, les initiatives sectorielles et les actions des entreprises, et sur la manière dont elles peuvent contribuer efficacement à des pratiques d'achat plus responsables et plus durables.

Tout au long de la journée, les discussions se sont concentrées sur plusieurs thèmes tels que l’offre efficace de services par les coopératives (ex : coaching, intrants subventionnés et production de compost, prêts, financement de semences et assistance technique pour la diversification), considérée comme un moteur important pour l'amélioration des revenus et un élément de fidélisation des membres. La question de l'empouvoirement des femmes a également été abordée : comment développer une approche pour obtenir des revenus complémentaires et pour la gestion économique des ménages qui tienne compte de la dimension de genre ?  

« La diversification des activités génératrices de revenus ne pourra pas se faire sans les femmes » - Armande Kesse, Vice-présidente de la coopérative de cacao ECAM en Côte d’Ivoire 

Un autre enjeu a également été examiné en profondeur : comment s'assurer que les jeunes continuent à s'intéresser à la culture du cacao, une question cruciale pour une chaîne de valeur durable. Comme l'a dit Stephen Ashia, de la coopérative ghanéenne ABCOFA, « Les prix actuels ne sont pas assez élevés et n'encourageront pas les jeunes à s'engager dans la culture du cacao ».

Cela soulève l'un des thèmes les plus importants abordés lors du sommet : la question du prix et son rôle dans l'accès des producteurs et productrices à un revenu décent. S'il est vrai qu’ils et elles sont confrontés à de nombreux défis, notamment le manque d'accès aux financements, un retour sur investissement incertain, le manque de matériel végétal adéquat, etc., pour les relever de manière durable, il est essentiel de prendre des engagements à long terme en matière d'approvisionnement et d'obtenir des prix durables.  

« Nous savons comment promouvoir les bonnes pratiques agricoles. Nous savons comment encourager les agriculteurs à diversifier leurs revenus. Mais comment mieux rémunérer les producteurs ? C'est l'éléphant dans la pièce ! » - Alex Assanvo, Secrétaire Exécutif de l'Initiative Cacao Côte-d'Ivoire et Ghana lors de son discours d'ouverture 

Nécessité d'une réglementation

Un éléphant dans la pièce qui pourrait être abordé par le prochain règlement de l'Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits humains et de l’environnement. Deborah Mensah, productrice et directrice des opérations à la coopérative Asunafo au Ghana, a demandé à juste titre à l'Union européenne de « vérifier à nouveau les documents du projet de directive et d'y inclure le revenu vital ».

Les représentants de la délégation de l'UE et des États membres de l'UE qui ont participé au Sommet en ont pris bonne note. Parmi eux, M. Matthijs van Eeuwen, chef de mission adjoint de l'ambassade des Pays-Bas : « Pour nous, un revenu vital est un droit humain. Le rôle des entreprises est crucial et notre rôle pour renforcer la dynamique positive est important. Vous pouvez compter sur nous ». Une citation-clé qui se retrouve également dans la Déclaration commune de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et désormais du Luxembourg sur le revenu vital et le salaire vital. Les engagements des États membres de l'UE sur le revenu vital sont essentiels dans le cadre des négociations sur la future directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.  

« J'appelle l’Union européenne à réviser le projet de directive sur le devoir de vigilance pour y inclure le revenu vital » - Deborah Mensah, productrice et directrice des opérations d'Asunafo North Union, Ghana 

La nécessité d'une réglementation dans le cadre d'un environnement favorable au revenu vital a été réitérée dans la Déclaration finale du sommet, qui prévoyait également des recommandations spécifiques sur les programmes de durabilité des entreprises, ainsi que sur les Initiatives pour un cacao durable européennes (Initiatives on sustainables cocoa – ISCOs). Cette Déclaration de l’ensemble des cacaoculteur a été lue à la clôture du sommet par Moussa Sawadogo, président de l'Association des présidents des coopératives de café et cacao (ASPCACC). 

« En clôture du Sommet des cacaoculteur Moussa Sawadogo, Président de L’Association des Présidents de Conseil d’Administration des coopératives de café cacao de Côte d’Ivoire (ASPCACC), a adressé les demandes des producteurs aux entreprises et aux gouvernements des pays producteurs et consommateurs ». - Moussa Sawadogo

Le mouvement Fairtrade/Max Havelaar appelle les décideurs politiques et ses partenaires à donner suite à la Déclaration du sommet et à « créer un environnement favorable qui nous permette [aux producteurs et productrices] d'être des fournisseurs efficaces de cacao durable et de haute qualité, tout en gagnant un revenu vital pour nos familles ».