Lutte contre le travail des enfants : les réponses du mouvement Fairtrade/Max Havelaar

"Lorsqu'il s'agit d'éradiquer le travail des enfants, ce que nous devons souligner, c'est que nous sommes tous dans le même bateau. […] Des organisations comme Fairtrade/Max Havelaar, des militants locaux et internationaux, des journalistes, des chercheurs, des producteurs, des consommateurs - nous avons tous nos rôles à jouer et ils sont complémentaires." Anita Sheth, Fairtrade International

Le dernier rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et de l’UNICEF est accablant : « Le nombre d’enfants victimes du travail des enfants s’élève à 160 millions dans le monde – soit une augmentation de 8,4 millions d’enfants au cours des quatre dernières années – et des millions d’autres sont en danger en raison des effets du COVID-19[1] ».

Depuis 20 ans, la tendance était à la baisse. Ce revirement de situation et l'impact de la pandémie de mondiale menacent les progrès réalisés dans la lutte contre le travail des enfants. Les fermetures d'écoles, associées aux limites imposées à la main-d'œuvre migrante, signifient que les garçons et les filles sont plus vulnérables. Si les parents sont infectés par le virus, les enfants et les jeunes, en particulier les filles, peuvent se retrouver à assumer de plus grandes responsabilités pour la survie de leur famille.

Alors, comment faire en sorte qu'en cette Année internationale de l'élimination du travail des enfants, les gains durement acquis au cours des deux dernières décennies ne soient pas réduits à néant ?

 

Les objectifs du mouvement pour la lutte contre le travail des enfants

Entretien entre Fairtrade International et Anita Sheth sur les objectifs du mouvement Fairtrade/Max Havelaar pour cette année ambitieuse et sur la manière dont l'organisation mène ce combat permanent contre le travail des enfants. 

Fairtrade International : Merci, Anita, d'avoir pris le temps de nous parler. Tout d'abord, qu'est-ce que le travail des enfants ? Il existe une distinction délicate entre le travail des enfants et les pires formes de travail des enfants que beaucoup peinent à comprendre. Comment le mouvement Fairtrade/Max Havelaar définit-il ces deux notions ?

Anita Sheth : Les pires formes de travail des enfants désignent un travail qui nuit à la santé et au bien-être de l'enfant, et/ou qui interfère avec son éducation, ses loisirs et son développement. L'OIT, qui établit les normes et les standards pour définir ce qui est et n'est pas le travail forcé des enfants, a identifié trois catégories spécifiques pour définir cette pratique : l'âge, l'exposition aux dangers, et ce qu'ils appellent les "pires formes" de travail des enfants.

En ce qui concerne l'âge, l'OIT fixe l'âge minimum général d'admission à l'emploi ou au travail à 15 ans. L'organisation reconnaît toutefois que dans certains pays, la scolarité obligatoire va jusqu'à 16 ans, l'âge minimum étant alors corrigé en fonction du seuil fixé pour le pays en question.

Lorsque l'on recherche des cas de travail des enfants, on évalue également l'exposition à des dangers qui sont, par nature, nuisibles à la santé, à la sécurité ou à la moralité des enfants. Il est demandé aux pays de préparer leurs propres directives sur ce qui peut être défini comme un travail dangereux, mais l'OIT propose également des définitions génériques comme point de départ.

Enfin, les enfants ne peuvent être impliqués dans ce que l'on appelle les "pires formes" de travail des enfants, qui comprennent toutes les formes d'esclavage ou les pratiques similaires à l'esclavage, la prostitution et la pornographie enfantines, et la participation à des activités illicites, telles que la production et le trafic de drogues[2].

Voilà donc, dans l'ensemble, ce qui constitue le travail des enfants aux yeux des Nations unies. Toutefois, nous devons également garder à l'esprit que, l'OIT accepte également que les enfants de 13 ans et plus participent à des travaux légers, pour autant qu'ils n'interfèrent pas avec leur scolarité.

Dans de nombreuses sociétés agricoles, par exemple, les enfants peuvent aider leurs parents et leurs familles dans les fermes, en effectuant des tâches allant du défrichage des champs à la récolte. Et c'est là que le bât blesse : pour un œil non averti, il arrive que ce qui semble être une pire forme de travail d'enfant soit en fait du travail « légal » d'enfant, car cela dépend d'un certain nombre de facteurs, notamment le moment où le travail est effectué, le type de travail entrepris et les conditions dans lesquelles il est réalisé...

Quelle est l'approche de Fairtrade pour lutter contre le travail des enfants ?

Anita Sheth : Nous devons tout d'abord souligner que le travail des enfants est le produit d'inégalités systémiques et de conditions commerciales inéquitables, en particulier la pauvreté endémique. Tant que les familles vulnérables ne seront pas en mesure d'avoir une vie décente, il restera difficile de mettre fin au travail des enfants. De meilleurs revenus, une scolarité de qualité, la lutte contre la discrimination, l'exploitation et les abus, la sensibilisation aux droits de l'enfant, les interventions juridiques et les changements sociaux sont autant de facteurs nécessaires pour combattre le travail des enfants.

Grâce à nos propres expériences, nous avons appris que la façon dont la question du travail des enfants est abordée est essentielle. Fairtrade/Max Havelaar adopte une approche fondée sur les droits et centrée sur la communauté, car elle augmente considérablement la probabilité que les communautés s'approprient la question, plutôt que de laisser les pratiques néfastes se propager ailleurs. Nous agissons sur plusieurs fronts, de la définition de normes strictes au renforcement des audits, en passant par la formation des organisations de producteurs et le développement de programmes ciblés avec d'autres partenaires.

Nous nous efforçons également de lutter contre la pauvreté, qui en est l'une des principales causes profondes, par le biais de nos prix minimums et de notre prime du commerce équitable, qui améliorent les revenus des agriculteurs. Ces initiatives Fairtrade/Max Havelaar sont essentielles car elles procurent aux producteurs des gains financiers qu'ils peuvent utiliser pour réinvestir dans leurs communautés et leurs familles, en construisant des écoles, en envoyant leurs enfants dans l'enseignement supérieur et, d'une manière générale, en protégeant les enfants contre le fléau du travail des enfants lui-même.

Des cas de travail d'enfants ont-ils été constatés chez des producteurs certifiés Fairtrade/Max Havelaar ? Comment le mouvement a-t-il réagi ?

Anita Sheth : Oui, il y a eu plusieurs cas dans lesquels nos producteurs certifiés ont utilisé, ou ont été accusés d'avoir utilisé, le travail des enfants. Ne vous méprenez pas – c'est une question que nous prenons très au sérieux. Les allégations elles-mêmes peuvent survenir à la suite d'un audit mené par notre entité de certification FLOCERT ou, dans d'autres cas, elles sont faites par des activistes ou des journalistes locaux. Cela dit, si le travail des enfants est allégué ou identifié dans une exploitation certifiée Fairtrade/Max Havelaar, nous avons des actions immédiates et complètes qui sont mises en place.

D'une part, les allégations de travail des enfants déclencheront instantanément la politique de protection des enfants et des adultes vulnérables de Fairtrade International. Cette politique nous oblige à agir en toute sécurité pour protéger les personnes concernées par les pires formes de travail des enfants, à soutenir les producteurs par des mesures de prévention, et à garantir le respect des standards du commerce équitable.  

Si le travail forcé ou les pires formes de travail des enfants sont identifiés, nous adressons un rapport à l'agence nationale de protection, le cas échéant, ou à des organisations de défense des droits dans le pays pour qu'elles prennent des mesures supplémentaires, y compris des mesures correctives sûres. Notre politique et nos procédures de protection des enfants et des adultes vulnérables appellent à une réaction et à une action pour garantir que les lois nationales pertinentes et applicables sont respectées et que les cahiers des charges Fairtrade/Max Havelaar sont appliqués. 

Pour leur part, les cahiers des charges Fairtrade/Max Havelaar sur le travail et la protection des enfants exigent que les actions correctives garantissent une sécurité prolongée à l'enfant, et la création de projets de prévention pour s'assurer que l'enfant retiré ne soit pas remplacé par d'autres. En outre, en cas de non-conformité constatée à cet aspect de nos cahiers des charges nous soutenons l'organisation de producteurs dans le renforcement de ses programmes et systèmes de détection et de prévention du travail des enfants.

En fin de compte, le fait de ne pas avoir mis en place des systèmes adéquats, y compris un contrôle et une réponse continus, conduit à la suspension puis à la décertification si l'organisation de producteurs ne règle pas le problème.

 

 

2021 : Année internationale de l'élimination du travail des enfants

Des organisations, dont le mouvement Fairtrade/Max Havelaar, des gouvernements et des entreprises privées ont soumis des engagements à l'OIT, s'engageant à accroître leurs efforts dans la lutte contre le travail des enfants. Que prévoit Fairtrade/Max Havelaar pour cette année importante ?

Le mouvement Fairtrade/Max Havelaar a rejoint l'OIT et la communauté internationale en s'engageant à mettre fin au travail des enfants. Et nous nous sommes, en fait, engagés à accélérer nos efforts de surveillance et de remédiation basés sur la participation des jeunes (Youth Inclusive Community Based Monitoring and Remediation - YICBMR), qui se concentrent sur la formation, le renforcement des capacités et l'implication des enfants et des jeunes travailleurs, des organisations de producteurs, des ménages de producteurs et de leur communauté au sens large dans les pays producteurs pour identifier et répondre aux risques liés au travail des enfants.  La YICBMR consiste à placer les enfants, les jeunes et les adultes au cœur de la lutte contre les causes profondes du travail des enfants dans la communauté locale.

Il s'agit d'un système basé sur une zone qui couvre les exploitations membres d'une organisation de producteurs du commerce équitable ainsi que les exploitations non-membres. Les agriculteurs et les membres de la communauté, y compris les femmes, les jeunes et les enfants, s'engagent également ensemble à identifier les risques potentiels et/ou réels pour le bien-être des enfants et à faire des recommandations sur la manière d'y répondre. Les organisations de producteurs apprennent qui engager, y compris quels départements du gouvernement, et quels projets préventifs doivent être mis en œuvre pour s'attaquer aux causes profondes du travail des enfants. Les enfants et les adultes des communautés de producteurs identifient les endroits où les enfants se sentent en sécurité ou non, et conçoivent des projets pour améliorer le bien-être et le développement des enfants.

En fin de compte, le YICBMR est une approche inclusive basée sur la région qui fait que nous avons besoin de l'investissement total de la communauté entière pour mettre fin au travail des enfants et respecter leurs droits.

À ce jour, YICBMR est développé dans 14 pays. Et des efforts sont actuellement déployés en Amérique latine, en Afrique et dans la région Asie-Pacifique.  

Pouvez-vous me parler des jeunes qui ont participé au soutien des opérations du système YICBMR au niveau des producteurs ? 

L'approche YICBMR implique les jeunes dans un large éventail d'activités et de prises de décision, qu'il s'agisse d'être des membres clés des comités sur le travail des enfants, des collecteurs de données et des évaluateurs, ou des animateurs communautaires.  Le plus souvent, les enfants et les jeunes sont les objets de la collecte de données sur le travail des enfants. Fairtrade/Max Havelaar a voulu changer cela et offrir des espaces où les jeunes sont considérés comme des sujets menant la lutte contre le travail des enfants.  Les jeunes impliqués dans le soutien à la mise en œuvre des systèmes YICBMR ont eux-mêmes été engagés très tôt dans l'agriculture, dans des travaux légers ou même dans le travail des enfants. Au début, les organisations de producteurs étaient réticentes à les embaucher. Mais aujourd'hui, toutes les organisations de producteurs font état de l'énorme travail qu'ils ont accompli pour susciter l'intérêt des communautés contre le travail des enfants. Certaines ont même embauché ces jeunes à temps plein dans leurs organisations.

 

Karen et Anthony sont deux jeunes qui ont rejoint le système YICBMR. Découvrez leur témoignage. 

KAREN CABATUAN - PHILIPPINES

Je travaille depuis un an et quatre mois dans notre communauté de l'Association des travailleurs agricoles bénéficiaires de la réforme agraire de Dama en tant que moniteur jeunesse du YICBMR. Participer à un projet qui s'attaque à la violence sexiste, y compris le travail des enfants et le travail forcé, est un travail stimulant et gratifiant. L'un des principaux défis que nous avons dû relever est la pandémie de COVID-19. Cela ne nous a pas empêchés de poursuivre notre travail et nous avons même été motivés pour continuer nos plans et activités dans le cadre du projet YICBMR. Nous avons pu obtenir l'installation de 10 lampadaires à Dama pour assurer la sécurité des membres de la communauté la nuit. Des panneaux de sensibilisation et d'avertissement ont été placés dans des endroits dangereux pour les membres de la communauté. En dehors des activités du plan de prévention, nous continuons à suivre au jour le jour l'enregistrement des cas de violence sexiste.

Le fait de travailler comme monitrice de jeunes m'a aidée à surmonter ma peur de parler en public et à renforcer ma confiance en tant que femme et jeune personne. Actuellement, je travaille également comme secrétaire à la rizerie de DAFWARBA, ce qui me donne une autre occasion de faire mieux.

ANTHONY BADU- GHANA

Le niveau d'exploitation des enfants dans les zones de culture du cacao a constitué une pierre d'achoppement pour leur éducation et le résultat a été la nature cyclique de la pauvreté dans ces communautés, même si les revenus du cacao contribuent immensément à l'économie du Ghana. J'ai toujours aspiré à changer cette situation.

Ainsi, lorsque j'ai vu l'annonce pour le poste de moniteur de jeunes, l’occasion s’est présentée d'apporter le changement tant attendu afin de garantir la sécurité et le développement holistique des enfants de ma communauté. J'ai appris qu'un enfant peut s'ouvrir à vous et discuter de tout ce qui le préoccupe s'il se sent en sécurité avec vous.

L'approche du YICBMR m'a également appris comment la participation de la communauté et son implication active dans toutes les étapes de l'intervention d'un projet éliminent la position défensive et renforcent l'appropriation et la coopération.

 

On estime que si le travail des enfants a diminué de 38 % au cours de la dernière décennie, 152 millions d'enfants (interview réalisée avant la publication du dernier rapport de l’OIT) travaillent encore. Que voudriez-vous voir de plus dans la lutte mondiale pour mettre fin au travail des enfants ?

Je pense que de nombreuses personnes en Europe et aux États-Unis considèrent le travail des enfants comme un problème du passé, relégué aux pages d'un roman de Dickens. Mais le travail des enfants est là et la lutte contre ce phénomène est réelle et doit se fonder sur les droits des enfants, en particulier leur droit à la protection et à être entendus.

Lorsqu'il s'agit d'éradiquer le travail des enfants, ce que nous devons souligner, c'est que nous sommes tous dans le même bateau : des organisations comme le mouvement Fairtrade/Max Havelaar, des militants locaux et internationaux, des journalistes, des chercheurs, des producteurs, des consommateurs - nous avons tous un rôle à jouer et ils sont complémentaires. 

Dans un monde touché par une pandémie, nous devons redoubler d'efforts en travaillant ensemble pour trouver, réparer et prévenir le travail des enfants, tout en augmentant les possibilités d'emploi décent, de développement des compétences et d'opportunités commerciales pour les jeunes âgés de 16 à 24 ans.  Chez Fairtrade/Max Havelaar, nous nous engageons à faire notre part.

 

 


[1] Source : Organisation Internationale du Travail, « Le travail des enfants atteint 160 millions – en hausse pour la première fois depuis 20 ans », 10 juin 2021, https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_800095/lang--fr/index.htm

[2] Les pires formes de travail des enfants telles que définies dans la convention n°182 :
1. La convention n°182 exige des Etats Membres qui la ratifient qu’ils prennent des mesures immédiates et efficaces pour assurer l’interdiction et l’élimination des pires formes de travail des enfants et ce, de toute urgence.

2. Contrairement à la convention n°138, la convention n°182 ne contient aucune « clause de souplesse » pas plus qu’elle n’établit une distinction entre les pays développés et en développement. La convention s’applique à l’ensemble des enfants des deux sexes de moins de 18 ans.

3. Elle définit l’expression «les pires formes de travail des enfants» comme : toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés; l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques; l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant aux fins d’activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que les définissent les conventions internationales spécifiques; les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant.

Source : Organisation Internationale du Travail, « Eradiquer les pires formes de travail des enfants – Guide pour la mise en œuvre de la convention n°182 de l’OIT », Guide pratique à l’usage des parlementaires, 2002