Journée internationale des femmes rurales : portraits de femmes engagées

La journée internationale des femmes rurales est l’occasion pour nous de vous parler des femmes productrices qui font partie du mouvement Fairtrade/Max Havelaar et s’engagent chaque jour pour elles-mêmes, pour les autres femmes, pour leurs communautés et le futur des générations à venir.

Découvrez deux portraits de femmes productrices : Dorcas Muhoro, directrice de la Gitugi Tea Factory au Kenya et Rosine Bekoin, productrice de cacao en Côte d’Ivoire. 

Dorcas Muhoro

 

« En 25 ans d’existence, la Gitugi Tea Factory n’avait jamais eu à sa tête de femme dirigeante. Aucune femme n’avait osé. C’était un travail d’homme. Alors quand je me suis jetée dans l’arène, il y a eu des messes basses et j’en suis certaine, des ricanements.

Comment une femme s’y prend-elle pour briguer un poste de dirigeant.e qui jusqu’ici été occupé uniquement par des hommes ? Elle commence avant les hommes. C’est ce que j’ai fait pendant la période de campagne électorale, je me levais quand il faisait encore nuit. Je frappais aux portes et me présentait comme l’une d’entre eux : une paysanne, productrice de thé, une mère qui voulait les mêmes chances pour ses enfants, une croyante fervente. Ensuite je leur exprimais mon désir de les servir. Je leur ai demandé de donner une chance à une femme et de me laisser leur prouver de quoi on était capables. Qu’avaient-ils à perdre ? J’étais celle qui avait le plus à perdre. « Donnez-moi une chance de vous avoir comme patron », leur disais-je. Et puis j’allais à la porte suivante, et la suivante, jusque tard dans la nuit.

J’ai dû frapper à plus de 1000 portes. Cela fait plus de 1000 visages différents, un millier de conversations, mille questions et mille leçons sur comment s’adresser à la prochaine personne.

Les élections sont dures par nature. Elles sont pires si vous êtes une femme. Certaines personnes ont lancé des rumeurs pour me discréditer. Des choses fausses. La chose la plus invraisemblable que j’ai entendue était une rumeur qui affirmait que je n’étais pas la fille de mon père. J’ai répondu : « Il est mort. J’aimerais qu’il puisse ressusciter et faire taire ces inepties. » Si vous êtes une femme et que vous entrez dans une compétition de mâles, préparez-vous à de la violence.

Le jour où j’ai été élue, il y a 7 ans, j’ai pleuré.

Cela aide d’avoir une famille qui vous soutient. Mon mari était mon roc. Sans lui, je n’y serais pas arrivée. Il m’a soutenue tous les matins à l’aube et tard dans la nuit et il m’encourageait. Peu importe à quel point vous êtes fort, vous avez besoin de cette petite voix qui vous encourage et qui vous dit que vous pouvez le faire. Cela aide les jours où l’on veut baisser les bras.

J’ai été réélue 4 années de suite en tant que directrice de la Gitugi Tea Factory et j’étais la première femme dirigeante depuis nos débuts avec Fairtrade/Max Havelaar 8 ans plus tôt. Mes opposants ont diminué au fil des ans, de 9 au départ, ils sont passés à 6, 2, 1 jusqu’à n’en avoir aucun l’année dernière.

Le secret ? Dites la vérité. C’est aussi simple que ça. Je suis transparente, je me bats pour les droits de tous.te.s. A chaque fois que je gagne, je rassure mes concurrents en leur disant que ce n’était qu’une compétition et que maintenant que c’est terminé, je sers tout le monde de manière égale, y compris ceux qui n’ont jamais voté pour moi. Vous devez vous élever campagne après campagne. Et le seul moyen sûr d’y arriver et d’être réélu, c’est de tenir vos promesses.

Je ne pense pas que les femmes doivent occuper des sièges simplement parce que ce sont des femmes. Je ne suis pas fan de ce genre de nominations. Tout le monde doit travailler dur pour avoir sa place. Si l’on vous sert quelque chose sur un plateau d’argent, vous n’en apprécierez pas la valeur.

Ma première prise de fonction a été très dure, c’était un temps où les gens pensaient que les femmes n’avaient aucune compétence pour des postes de direction. Ceux qui étaient contre moi l’étaient parce que je suis une femme.

J’ai été élevée par un homme bon, un père qui ne faisait pas de distinction de genre. J’ai grandis à Othaya. Quand avec mon frère nous avons passé les examens du primaire, mon père s’est retrouvé face à la décision de n’envoyer qu’un de nous deux en études par manque de moyens. Il a choisi de m’y envoyer la première, parce que j’avais eu des meilleures notes que mon frère. Personne à cette époque n’a compris sa décision car les hommes éduquaient les garçons, par les filles. Depuis toute petite, j’étais légitime.

Ma position a fortement encouragé les femmes, elles ont réalisé qu’elles avaient une voix et qu’elles pouvaient se faire entendre, qu’en tant que femmes, elles pouvaient tout faire. Ce que je leur dis, c’est qu’elles doivent prouver qu’elles méritent leur place et qu’elles doivent être responsables.
 
Comment est-ce que je gère les hommes à qui j’ai à faire ? Je les respecte et je gagne leur confiance. J’essaie de comprendre d’où ils viennent. J’ai appris à séparer Dorcas l’épouse et Dorcas la directrice, mais plus important, je me comporte avec dignité. Les hommes vous respecteront si vous vous respectez vous-même.

Mes 4 enfants ont plus de 40 ans. Je suis aussi grand-mère. Ce que j’espère, c’est que mes filles ont appris à être fortes et cohérentes et à tirer le meilleur d’elles-mêmes. J’espère que je les inspire à toujours faire mieux. »

 

Rosine Bekoin

 

En Côte d’Ivoire, les femmes ne possèdent pas de terres. Alors Rosine Bekoin n’en avait jamais possédé, comme sa mère et la mère de sa mère avant elle. Elle a rencontré un homme et l’a épousé à 16 ans, l’éducation de son frère était la priorité. Sa vie aurait continué sur cette voie si elle n’était pas tombée sur l’école de leadership des femmes de Fairtrade/Max Havelaar. Ce programme a été lancé en 2017 dans l’espoir d’aider plus de femmes à occuper des places de dirigeantes dans les économies locales et à l’échelle de leur société. Un programme de leadership ? Pour les femmes ? Comment pouvait-elle songer à l’intégrer ? N’était-ce pas destiné aux hommes ?

Elle a rejoint le programme parce quelque chose au fond d’elle voulait plus, même si cela l’effrayait de nourrir ce désir. Après tout, vous n’encouragez pas ce que vous ne comprenez pas, pas vrai ? Et puis tout a changé. Aujourd’hui elle possède des terres : une production de cacao de presque 2,5 hectares.

Voici les 3 grandes leçons qu’elle retient du programme de leadership :

La confiance

« Quand j’ai commencé le programme, j’étais timide. Je ne croyais pas en moi et je ne pensais pas que je pouvais réaliser quelque chose d’impactant. L’école m’a aidé à prendre confiance en moi. J’ai pu me revaloriser en tant que femme, me voir comme quelqu’un qui en vaut la peine et qui a les mêmes droits que les hommes. Je suis une femme forte. Je suis forte parce que quelqu’un m’a dit que j’étais forte et que j’étais capable. »

La terre

« La seule chose qui donnera du pouvoir aux femmes de mon pays est l’autorisation de posséder des terres. La terre, c’est le pouvoir, c’est l’indépendance. Aujourd’hui je rallie ma communauté, je réunis les femmes, je les encourage à prendre une part active dans le développement de la communauté. »
 
La réincarnation

« Mon père n’a jamais scolarisé ses filles, j’ai épousé un homme qui, bien qu’il soit issu d’une école de pensée différente de la mienne, en est revenu. Aujourd’hui nous scolarisons nos filles. Et je leur répète que l’éducation est ce qui leur permettra d’aller loin et leur offrira une réelle indépendance. Si vous me demandez en quoi je me réincarnerai dans ma prochaine vie, ce sera en femme. Parce que maintenant je sais ce que c’est. »

 

Merci à Fairtrade Africa pour les témoignages. Retrouvez-les ici