Face à la menace du changement climatique, il est urgent de repenser les manières de produire et commercialiser le café

D’après les projections des spécialistes, 50 % des surfaces cultivées de café deviendront inexploitables en seulement quelques décennies, à cause du changement climatique.

Les producteurs, en grande majorité des petites exploitations familiales, luttent contre des prix toujours instables, malgré une demande mondiale en augmentation, tandis que les coûts de production augmentent et que les cultures souffrent des manifestations du changement climatique dans les plantations caféières. Agroforesterie, innovations techniques,commerce équitable et régulation des prix : à quoi ressemblera l’avenir du café ?

Quelques mois après une première édition dédiée au coton, Max Havelaar France revient pour une deuxième session des « Rencontres Scientifiques », mettant le café est à l’honneur. Au programme : les implications du changement climatique sur les cultures et l’urgence de repenser les schémas de commercialisation de ce grain noir, à travers toute la chaine de valeur.

Organisé en collaboration avec le Cirad, ce cycle d’évènements souligne l’importance de faire se rencontrer scientifiques, producteurs, acteurs économiques et membres de la société civile pour réfléchir ensemble à l’avenir des filières agricoles dans un contexte de polycrise (augmentation des prix pour les consommateurs, des coûts de production pour les petits producteurs, et impacts manifestes du changement climatique sur les conditions de production).

Un climat déréglé qui perturbe les conditions de production du café

« Avant au Nord-Kivu, on avait deux saisons en termes de production : une petite de février à mai, et une plus grande de septembre à décembre. Aujourd’hui, les saisons sont décalées et la floraison est plus précoce. Les fortes pluies perturbent les récoltes et on doit lutter contre l’érosion des sols. Le calendrier agricole est bouleversé et ça impacte les rendements. »

Bertrand Paluku Isevulambire travaille pour le Conseil Agricole Rural de Gestion du Congo et fournit un appui agronomique et commercial à plusieurs coopératives dont celle de Kawa Kanzurururu, qui regroupe plus de 2000 producteurs de café du Nord-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo. Partenaire de Max Havelaar France depuis plusieurs années, la coopérative se spécialise dans le café Arabica de qualité. Face au changement climatique, qui impacte durement leurs producteurs et la qualité des grains, la coopérative sollicite l’accompagnement du gouvernement et de plusieurs entreprises privées et fondations, ainsi que des partenaires scientifiques. Alors que la coopérative est située non loin du Parc National des Virunga dans une zone particulièrement conflictuelle, la préservation de l’environnement et le maintien d’activités génératrices de revenus sont clés face aux enjeux de sauvegarde des écosystèmes et d’autonomisation économique des producteurs.

L’agroforesterie est l’une des principales solutions développées au sein des exploitations membres. « Les arbres d’ombrage aident à lutter contre l’érosion des sols, et participent aussi à préserver la biodiversité, détaille Bertrand Paluku Isevulambire. Nos producteurs se situent autour d’un parc national, donc ils évitent l’utilisation de produits chimiques, ce qui est une bonne nouvelle pour l’environnement, pour la qualité du café, mais aussi pour leur propre santé. »

L’agroforesterie : bon pour l’environnement, bon pour l’économie ?

Entre hausse des températures et irrégularités des précipitations, les systèmes de culture basés sur l’utilisation d’arbres d’ombrage sont une solution agronomique tout indiquée[1]. Des obstacles existent néanmoins dans la mise en place de ces systèmes, car actuellement, les systèmes en monoculture et en plein soleil assurent un rendement nettement supérieur à court terme. Les petites exploitations ne disposant souvent pas des fonds de trésorerie nécessaires pour acquérir le matériel et développer les itinéraires techniques nécessaires à la transition, comment l’agroforesterie peut-elle être perçue comme une alternative viable et comment la diffuser ?

« Sur certains territoires, on n’aura pas le choix de passer en agroforesterie dans les prochaines années. Sauf à abandonner la culture du café. La hausse des températures va diminuer la surface des terres où la culture de l’Arabica en plein soleil est encore possible, et augmenter les surfaces pour le Robusta. Or, l’espèce Arabica est meilleure et vaut plus chère. » Pour Guillaume David, correspondant adjoint de la filière café au Cirad, il faut repenser la manière dont on calcule la rentabilité en agroforesterie : « les calculs se fondent encore sur des variétés qui ont été sélectionnées pour du plein soleil. Des récentes améliorations variétales et la création d’hybrides adaptés à l’agroforesterie tendent à contrebalancer les chiffres en faveur de l’agroforesterie. Par ailleurs, utiliser des arbres ou des haies permet de réduire l’utilisation d’intrants, qui coûtent de plus en plus chers et présentent des risques environnementaux. Le café produit en agroforesterie est aussi de meilleure qualité, et peut donc être vendu plus cher. Enfin certaines espèces d’arbres d’ombrage peuvent également être valorisés et ainsi apporter une source de revenu supplémentaire ».

Un autre enjeu central est de réussir à valoriser le prix de vente de ce café sous ombrage, à travers la certification notamment, mais aussi par une meilleure prise en compte des externalités négatives de la culture de café conventionnelle.

Le commerce équitable pour un juste prix du café

Le café est le deuxième produit le plus échangé dans le monde, juste derrière le pétrole. Deux milliards de consommateurs font face à 25 millions de producteurs, dont la grande majorité travaillent sur des surfaces de moins de cinq hectares. Entre les deux, seulement trois négociants se partagent environ 50 % du marché, et cinq torréfacteurs en concentrent 45 % (voir à ce sujet l’étude du Basic « Café : la success story qui cache la crise », 2018). Favorisés par cet oligopole, ces gros négociants et torréfacteurs sont en position de force pour négocier le prix du café vert auprès des producteurs.

Des alternatives existent cependant pour les caféiculteurs, comme la certification de commerce équitable, qui leur assure un prix minimum ainsi qu’une prime supplémentaire de développement pouvant être investie dans des projets communautaires de leur choix. Max Havelaar France/Fairtrade travaille ainsi avec plus de 872 000 producteurs de café à travers une trentaine de pays. Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, détaille les piliers qui fondent les principes du commerce équitable : « la lutte contre la pauvreté et les conditions de vie précaires des producteurs sont notre enjeu numéro un, c’est pour cela qu’on s’engage à verser un surprix d’environ 10 % aux caféiculteurs. En parallèle des aspects économiques, notre activité repose sur des garanties sociales pour faire respecter les droits minimums, comme les congés. On a tout un volet environnemental dans notre cahier des charges. Enfin, le dernier pilier, c’est celui de la démocratie coopérative. Les producteurs qui veulent être intégrés dans le mouvement doivent se regrouper au sein de coopératives. »

L’ONG soutient un rapprochement entre producteurs et consommateurs, et une meilleure redistribution de la richesse générée par le négoce et la torréfaction du café. « La certification « commerce équitable » participe à enrayer une mécanique qui repose sur la pauvreté et participe au changement climatique », estime Blaise Desbordes. Cette tendance est confirmée par Denis Seudieu, économiste en chef à l'Organisation internationale du Café (OIC), pour qui tout changement de la filière café doit passer par les organisations de producteurs : « les coopératives ou les associations sont le premier maillon entre le marché et les producteurs. C’est aussi le tremplin à toute solution proposée face au changement climatique. Quelles ques soient les mesures envisagées, si on veut qu’elles soient traduites auprès des producteurs, il faudra passer par les coopératives ». Elles sont efficaces, proches du terrain, et font le lien avec des producteurs à la fois petits et diverses, rappelle l’expert. Que ce soit pour négocier un prix ou implémenter de nouvelles techniques de cultures, il serait trop coûteux pour tout organisme externe d’essayer d’approcher les producteurs un par un. « En renforçant les coopératives, on renforce les producteurs. »

L’instabilité des marchés renforce la pression exercée sur les producteurs et amène à se questionner sur les liens entre prix et valeur

Depuis environ trois décennies, le commerce mondial du café a connu de nombreuses transformations. La carte des échanges commerciaux traduit l’évolution de la demande et de la consommation. Eloi Ficquet, anthropologue à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), revient sur l’histoire du commerce de l’arabica, de son environnement forestier originel dans le sud-ouest de l’Ethiopie à son exportation vers les colonies européennes. Et Guillaume David de compléter en nuançant les différents facteurs ayant influencé l’augmentation de la demande : « premiumisation », augmentation des revenus per capita, hausse démographique. Si l’Amérique du Sud, et en particulier le Brésil, demeure le premier producteur mondial de café, l’Asie du Sud-Est, et en particulier le Vietnam, a largement augmenté ses surfaces productives, redessinant les schémas de commercialisation.

C’est aussi la libéralisation progressive de la filière qui a influencé la chaine de valeur avec la suppression, dans la plupart des pays exportateurs, des organismes parapublics de contrôle et de gestion interne et externe de la commercialisation. Les déséquilibres du marché traduisent l’écart entre l’offre et la demande de café, et Philippe Chalmin rappelle que « la réalité du marché, c’est que le café est une commodité », aux prix mondiaux instables. Cette situation, facteur de pression sur les producteurs, les amènent en conséquence à favoriser les pratiques rentables à court terme. Denis Seudieu souligne que, pour réorienter la captation de la valeur, il faut donner aux producteurs, maillon faible dans la relation de pouvoir existante dans la chaine de valeur, les moyens de mettre en place des pratiques durables.

En bref, il s’agit de passer d’une logique de prix à une logique de valeur, permettant aux caféiculteurs d’appliquer des méthodes durables atteignant ses objectifs environnementaux et sociaux à long terme, tout en étant en mesure de rivaliser efficacement avec les autres acteurs du marché et de s’assurer une marge de profit acceptable. De nombreuses pistes sont explorées au niveau des acteurs privés, mais également de la recherche, qui poursuivent des initiatives volontaires visant à améliorer la durabilité de la filière.


Sources : 

Dzebo, A. and Adams, K. (2022). The coffee supply chain illustrates transboundary climate risks: Insights on governance pathways. SEI. Source

[1] Koutouleas, A., et. al., “Shaded-Coffee:A Nature-Based Strategy for Coffee Production Under Climate Change? A Review”, Front. Sustain. Food Syst., 2022

Voir aussi : 

Agronomes, historiens, économistes, sociologues discutent de l’avenir du textile

https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2023/l-avenir-du-coton

Podcast | Sous les arbres, le café – Climat, cultiver les solutions (3/6)

https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2023/podcast-sous-les-arbres-le-cafe

Breedcafs | Des résultats clés pour le café de demain

https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2022/breedcafs-pour-le-cafe-de-demain

Face au changement climatique, l’Ouganda se lance dans la production de café Robusta en agroforesterie

https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2022/agroforesterie-cafe-robusta-ouganda