En France, nous consommons en moyenne 13,2 kg de chocolat par foyer et par an[1], soit plus d’une tablette par semaine. Or, le prix payé aux cacaoculteurs et cacaocultrices ne pèse que 11% du coût total d’une tablette de chocolat[2]. Ce plaisir bénéficie ainsi principalement aux négociants de cacao et aux grandes marques de chocolat, au détriment de celles et ceux qui produisent le cacao et de l’environnement.
La pauvreté endémique de la grande majorité des producteurs et productrices de cacao est à la racine de tous les maux socio-économiques et environnementaux de la filière : déforestation, travail des enfants, appauvrissement des sols, destruction de la biodiversité, abandon de la culture cacaoyère.
Les entreprises du secteur et les pouvoirs publics doivent agir et répondre aux attentes des producteurs d'atteindre un revenu vital[3], clé de voûte d’une filière durable et d’un chocolat respectueux des droits humains et de la planète.
Le 11 mai 2023, des organisations de producteurs et productrices d’Afrique de l’Ouest ont organisé un Sommet sur le revenu décent dans le secteur du cacao qui a rassemblé une centaine de représentants de l’industrie, des gouvernements producteurs et consommateurs, pour débattre des moyens de garantir que la filière assure un revenu vital à celles et ceux qui produisent le cacao.
À l’agenda : comment mettre en place de bonnes pratiques agricoles, instaurer des pratiques d’achat responsables et créer un environnement politique favorable au revenu vital dans le secteur du cacao.
En conclusion, les producteurs et productrices ont formulé des demandes très claires adressées aux acteurs du secteur et aux autorités publiques pour une filière du cacao durable qui rémunère décemment les premiers maillons de la chaine.
Le 1er octobre, journée internationale du cacao, est l’occasion d’interpeller l’industrie du chocolat et les pouvoirs publics pour qu’ils prennent les mesures nécessaires et urgentes afin de garantir des prix justes et un revenu vital à celles et ceux qui produisent le cacao, et leur permettre d'investir dans des techniques de production pour régénérer la fertilité des sols et lutter contre la déforestation.
Parmi les près de 2 millions de cacaoculteurs et cacaocultrices en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux premiers pays producteurs mondiaux, jusqu’à 90% ne touchent pas un revenu vital[8]. De la cacaoyère au supermarché, la valeur ajoutée produite par la transformation de la fève de cacao en tablette de chocolat échappe largement à ceux et celles qui la produisent, qui est captée à 80% par les transformateurs, fabricants et distributeurs[2].
D’après l’ONG Oxfam, l’industrie du chocolat a engrangé des profits en hausse ces dernières années, tandis que dans un même temps, les revenus des producteurs, et notamment ceux des productrices, ont baissé significativement, en raison de prix payé aux producteurs trop bas pour faire face à l’augmentation des coûts de production et aux conséquences du réchauffement climatique. Ainsi, les quatre plus grands fabricants de chocolat mondiaux ont généré conjointement près de 15 milliards de dollars de profits grâce à leurs divisions confiserie depuis 2020, soit une hausse moyenne de 16 %. Les producteurs et productrices de cacao interrogées dans le cadre de l’enquête d’Oxfam au Ghana, ont vu leurs revenus chuter en moyenne d’autant, et neuf sur dix affirment avoir vu leur niveau de vie se dégrader depuis la pandémie de Covid-19 en 2020[9].
Or sans un revenu vital la majorité des producteurs et productrices de cacao n’est pas en mesure de mettre en place des pratiques agricoles durables, d'investir dans des techniques de production pour régénérer la fertilité des sols et de lutter contre la déforestation.
L’augmentation de la consommation de chocolat mondiale depuis les années 80 a été l’un des principaux facteurs du développement rapide de la culture cacaoyère en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine, rendant la filière partiellement responsable d’une grande partie de la déforestation pour augmenter les surfaces dédiées à la production de cacao. Pour exemple, le couvert forestier de la Côte d’Ivoire a diminué d’environ 90% au cours des 60 dernières années[10], principalement à cause de l’agriculture – environ 45% de cette déforestation peut être imputée à la culture du cacao[11].
Si l’adoption par l’Union européenne d’un règlement zéro déforestation sur sept commodités d’importation (cacao, café, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf et bois) et leurs produits dérivés est un grand pas vers la redevabilité des entreprises, en demandant une preuve de non déforestation pour les produits commercialisés sur le territoire de l’Union européenne, sa mise en application d’ici 2025 risque de faire porter la charge et les coûts de mise en conformité aux producteurs et productrices de petites exploitations.
En Côte d’Ivoire et au Ghana, on comptabilise environ 1,5 million qui travaillent dans les exploitations de cacao[12]. 95 % d’entre eux sont exposés aux pires formes de travail des enfants, c’est-à-dire qu’ils participent à des activités dangereuses telles que définies par les lois nationales (défrichage, utilisation d’outils tranchants, longs horaires, exposition directe et sans protection à des pesticides). La majorité de ces enfants est exposée à plus d’une forme de travail dangereux. Or, dans un contexte de précarité extrême, le travail des enfants n’est pas un choix ou une aide ponctuelle familiale mais une nécessité pour se nourrir.
Sources :
[1] "Chiffres clés 2021 du secteur" , Syndicat du Chocolat, Kantar, 2021
[2] "Étude comparative de la répartition de la valeur au sein des filières européennes de cacao-chocolat" , FAO et BASIC, 2020
[3] Une rémunération vitale est définie par la Living Wage Community of Practice comme la « rémunération perçue pour une semaine de travail normale par un travailleur dans un lieu donné, suffisante pour assurer un niveau de vie décent au travailleur et à sa famille. Les éléments d'un niveau de vie décent comprennent la nourriture, l'eau, le logement, l'éducation, les soins de santé, le transport, l'habillement et d'autres besoins essentiels, y compris la prise en charge d'événements imprévus ». Toucher une rémunération vitale est reconnu comme un droit humain par les Nations Unies d’après l’articles 23 et 25 de la Déclaration universelle des droits humains.
[4]Rapport "Au pays du cacao : comment transformer la Côte d'Ivoire", La Banque Mondiale, 2019
[5]"Evaluation des progrès dans la réduction du travail des enfants dans la production de cacao dans les zones cacoyères de Côte d'Ivoire et du Ghana", NORC, 2020
[6]"Baromètre du cacao", réalisé par VOICE Network, 2020
[7] Formulées le 11 mai 2023 par le RICE (Réseau ivoirien de commerce équitable) et l’ASPCACC (Association des Présidents de coopératives de café et de cacao)
[8] "A Living Income for Cocoa Producers in Côte d'Ivoire and Ghana?, Jiska A. van Vliet, Maja A. Slingerland, Yuca R. Waarts, Ken E. Giller, 2021
[9] "Towards a living income for producers in Ghana", Oxfam, 2023
[10] "Evolution de la surface forestière (km2) de la Côte d'Ivoire de 1990 à 2020", données entre 1960 à 2018 de la Banque mondiale compilées par le ministère en charge de l’environnement ivoirien.
[11] "Transparency, traceability and deforestation in the Ivorian cocoa supply chain" , UCLouvain C. Renier, M. Vandromme, P. Meyfroidt, V. Ribeiro, N. Kalischek and E. K H J Zu Ermgassen, 2023
[12] "Assessing Progress in reducing child labor in cocoa production in cocoa growing areas of Côte d’Ivoire and Ghana" , NORC, 2020