Du champ de coton jusqu’à nos armoires ou la benne de collecte, nos vêtements ont un impact social et environnemental énorme.
Cet impact est accéléré et amplifié par les cadences de la production et de la consommation de nos vêtements, avec l’apparition de la fast-fashion au tournant des années 2000 et de l’ultra-fast fashion aujourd’hui. Le renouvellement incessant des collections à bas prix repose sur l’exploitation des travailleuses et travailleurs fabriquant nos vêtements, principalement des femmes (elles représentent jusqu’à 80% de la main-d'œuvre textile dans certains pays).
Aujourd’hui, pour produire vite, en quantité astronomique et à prix le plus bas possible, les marques font tout pour réduire les coûts de production. Les conditions de travail deviennent alors une variable d’ajustement comme une autre. Les ouvrières, dans une situation de dépendance économique par rapport à cette industrie, sont dans l’obligation d’accepter des conditions de travail indécentes, voire illégales.
Et en bout de chaîne ? Le coton fait vivre des centaines de millions de personnes à travers le monde, majoritairement dans les pays en développement ou émergents. Les prix du coton, trop bas et fluctuants, ne couvrent pas les coûts de production. Les fortes subventions dont bénéficient les producteurs et productrices de certains grands pays producteurs comme les Etats-Unis ou la Chine, font une concurrence à armes inégales à des pays moins avancés et qui se retrouvent dans l'impossibilité de tirer leur épingle du jeu malgré de faibles coûts de production. Dans ce contexte, il est impossible pour les cultivateurs de mettre en place des projets pour l'avenir.
Les impacts environnementaux et climatiques de l’industrie sont très bien documentés par d’autres ONG, comme Fashion Revolution, les Amis de la Terre France ou Zero Waste France.
Les marques peuvent maintenir ce modèle grâce à leurs pratiques commerciales, d’achat, et de fixation des prix, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles elles achètent aux fabricants les vêtements qu’elles nous vendent. Cette situation est rendue possible par le rapport de force très inégal entre les marques de mode et leurs fournisseurs, ce qui leur permet de contrôler les activités d’entreprises qu’elles ne possèdent pas et qui, à leur tour, transfèrent cette pression aux travailleurs et travailleuses. Ce déséquilibre de pouvoir crée également une culture de la peur dans laquelle les fournisseurs ont tendance à ne pas poursuivre les marques pour les pratiques commerciales qui sont illégales.
Ces pratiques ont un impact direct sur les droits humains des personnes qui fabriquent nos vêtements et sur notre planète :
Des prix d’achat bas : en raison de la forte concurrence entre plusieurs petits fournisseurs dans le secteur textile, les marques sont en mesure d’acheter des commandes à prix très bas, souvent inférieurs au coût de production. Les deux tiers des fournisseurs ont déjà accepté un prix inférieur au coût total de production par crainte de perdre des marchés (étude de l’OIT, 2017). Pire, lorsque le salaire minimum a presque doublé au Bangladesh en 2014, passant de 3000 à 5300 Taka, presque aucun acheteur n’a accepté une augmentation de prix pour refléter l’augmentation des coûts de main-d’œuvre. Il est bien documenté (UE, OIT) que la plupart des entreprises ne vérifient pas si leurs prix d’achat permettent à leurs fournisseurs d’appliquer le salaire vital.
Délais courts : pour faire face au renouvellement permanent des collections, au besoin de mettre à disposition de quantités énormes de styles, aux changements soudains des volumes de commande, etc., les délais de fabrication des produits sont souvent déraisonnablement courts. Comme pour les prix d’achat bas, en raison de la forte concurrence entre les fournisseurs, ceux-ci peuvent perdre des commandes s’ils refusent de réduire le délai de commande et d’expédition des produits. Pour respecter ces délais, les fournisseurs ont souvent recours à des heures supplémentaires excessives ou forcées, ou se tournent vers la sous-traitance non autorisée, souvent vers des travailleuses informelles basées à domicile qui sont exposées à des risques particulièrement élevés et à de mauvaises conditions de travail.
Parmi les autres pratiques d’achat déloyales et irresponsables, on peut citer la modification ou l’annulation de commandes à la dernière minute, les paiements tardifs ou retardés, la modification unilatérale des termes du contrat ou le transfert des risques sur les fournisseurs. Parmi les autres impacts sur les droits humains, on peut citer les coupes dans les salaires, dans les cotisations de sécurité sociale, dans les équipements de santé et de sécurité, les retards de paiement des salaires (voire l’absence de paiement en cas d’annulation soudaine de commande, comme ce fut le cas pendant le COVID-19), l’imposition de quotas de production déraisonnables par travailleur·euse·s, l’augmentation des risques de violence et de harcèlement.
Les personnes qui fabriquent nos vêtements ne peuvent pas se permettre d’avoir une alimentation suffisante et nutritive, de vivre dans un logement décent, d’envoyer leurs enfants à l’école ou de se soigner. Ils gagnent en moyenne deux fois moins que le salaire vital nécessaire pour vivre dans des conditions décentes et subvenir à ses besoins fondamentaux.
Le salaire est aussi une question de genre. Garantir aux femmes un salaire vital ou un revenu vital, c’est leur permettre de subvenir à leurs besoins essentiels, de dégager du temps pour leur vie personnelle, pour s’engager dans la vie sociale et politique de leur communauté, pour s’organiser entre elles et faire entendre leur voix.
En juillet 2023, près d’1/4 de million de citoyennes et citoyens européens ont signé la campagne Good Clothes, Fair Pay, une initiative citoyenne européenne demandant à l’Union européenne (UE) d’adopter une législation obligeant les entreprises de textile et d’habillement qui vendent des produits dans l’UE à s’assurer que les travailleurs et travailleuses de leurs chaînes d’approvisionnement reçoivent un salaire vital.
Alors que l’inflation frappe chacun inégalement et accroit la vigilance sur les prix des achats quotidiens, cela témoigne du fait que le pouvoir d'achat et l'attention portée aux droits des travailleurs et travailleuses ne sont pas incompatibles, bien au contraire.
Grâce au soutien des 240 000 signataires, Good Clothes, Fair Pay est devenu la plus grande campagne jamais menée sur le salaire vital dans l’industrie de la mode. Jusqu'à récemment, les salaires vitaux pour les ouvriers et ouvrières étaient rarement au premier plan des conversations sur l'impact de l'industrie de la mode, et n'étaient presque jamais inclus dans les politiques publiques visant à rendre le secteur plus durable.
L'ONG Max Havelaar France attend désormais une réponse officielle de la Commission européenne et un rapport du Parlement européen d’ici fin 2023 / début 2024.
Une rémunération juste est un droit humain reconnu par les Nations unies (Déclaration universelle des droits de l’Homme et Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels).
Le salaire vital est différent d’un salaire minimum, généralement convenu dans le cadre de négociations entre le gouvernement, l’industrie, et parfois les syndicats. Ce salaire minimum est insuffisant dans la majorité des pays pour vivre dans des conditions décentes – et d’ailleurs tous les pays où sont fabriqués nos vêtements ne disposent pas d’un salaire minimum légal.
Le revenu vital est la rémunération tirée de leur travail par les personnes travaillant en tant qu’indépendants sans contrat de travail, comme les producteurs et productrices de coton. Ils sont généralement moins protégés par le droit du travail et sont moins susceptibles d’être représentés par un syndicat.
Le mouvement Fairtrade/Max Havelaar travaille depuis plusieurs années à faire de ce droit une réalité pour les travailleurs, travailleuses, producteurs et productrices du monde entier.
Depuis plusieurs années, les initiatives volontaires des marques fleurissent, mais dans les faits, presque rien ne change. Les initiatives volontaires encadrées par des certifications comme celle du commerce équitable Fairtrade/Max Havelaar ont contribué à faire avancer l’agenda de la durabilité mais elles ne peuvent à elles seules relever le niveau pour toutes les entreprises et provoquer le changement systémique nécessaire. Un encadrement par la loi est donc nécessaire.
L’UE est le plus grand importateur de vêtements au monde et l’un des plus grands marchés consommateurs de mode. Une législation qui s’appliquerait à tous les produits textiles mis sur le marché européen pourrait donc avoir un impact transformateur sur les conditions de travail et de vie de millions de travailleurs et travailleuses dans le monde.
L'Union européenne adoptera dans les prochains mois de nouvelles obligations légales pour les plus grandes entreprises qui vendent leurs produits sur le marché européen : elles devront identifier, mettre fin, prévenir, atténuer et rendre compte des impacts négatifs sur les droits humains et l'environnement dans leurs chaînes de valeur. Les négociations entre le Conseil, le Parlement et la Commission sont en cours et des points clés devront être intégrés pour que le texte final ait un impact sur les personnes travaillant dans les chaînes d'approvisionnement du textile :
Le texte final doit faire explicitement référence au salaire et au revenu vital, afin de garantir que les travailleurs et travailleuses du textile, mais aussi les producteurs et productrices de coton, reçoivent une rémunération équitable leur permettant de vivre dans des conditions décentes.
La directive doit exiger des entreprises qu'elles évaluent l'impact de leurs propres pratiques d'achat, commerciales et de fixation des prix sur les droits humains et qu'elles prennent des mesures pour les prévenir, les atténuer et les traiter.
En adoptant des pratiques d’achat équitables, les marques peuvent influencer directement le respect des droits humains des travailleurs et travailleuses dans leurs chaînes d’approvisionnement. Comme l'a demandé le Parlement européen dans son rapport sur la Stratégie pour des Textiles Durables, la Commission européenne devrait introduire une législation interdisant les pratiques commerciales déloyales dans le secteur textile, à l'instar de ce qui a été introduit pour le secteur agroalimentaire dans une directive de l'Union européenne en 2019.
L'ONG reste vigilante quant aux conclusions de l’enquête de la DGCCRF commanditée par Bruno Le Maire et Olivia Grégoire sur les pratiques commerciales des marques de fast fashion, qui sont attendues pour l’automne 2023.
L'ONG Max Havelaar France demande à la France d'adhérer à la Déclaration conjointe sur le salaire et le revenu vital déjà signée par les gouvernements néerlandais, allemand, belge et luxembourgeois. Ils s'engagent à collaborer à la mise en œuvre de mesures visant à intégrer les revenus et les salaires vitaux dans leurs politiques publiques sur les chaînes d'approvisionnement durables, aux niveaux national et européen.
Depuis 2005, le commerce équitable Fairtrade/Max Havelaar soutient plusieurs dizaines de milliers de producteurs et productrices pratiquant une agriculture traditionnelle et familiale du coton, à travers un prix minimum garanti, une prime de développement, la réglementation des conditions de travail et des mesures de protection de l’environnement.
Depuis, l’objectif du mouvement Fairtrade/Max Havelaar a été d’étendre son approche à toute la chaîne de valeur du textile, pour répondre aux enjeux de ce secteur. Le mouvement a lancé en 2016 le Standard Textile Fairtrade, proposant une certification sur tous les maillons des chaînes d’approvisionnement : de l’égrenage du coton, jusqu’à la confection finale des produits. À travers une approche holistique, le mouvement Fairtrade/Max Havelaar vise à redonner du pouvoir aux travailleuses et travailleurs du textile et améliorer leurs conditions de travail, notamment via le paiement d’un salaire vital pour touts les travailleurs et travailleuses des usines certifiées au bout de 6 ans maximum.